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Jeux Paralympiques de Londres. 6 septembre 2012. La Française Assia El Hannouni, double championne paralympique du 200 mètres, s'apprête à s'élancer sur l'une des épreuves qui a fait sa renommée. A ses côtés, un homme l'accompagne. Son guide. Souffrant d'une maladie dégénérative de la rétine depuis plus de dix ans, l'athlète handisportive a besoin d'être dirigée pendant la course. Gautier Simounet, dossard orange fluo à sa droite, est en charge de l'orienter sur la piste.

 

Le départ est poussif, les premiers mètres difficiles. En sortie de virage, le duo pointe à la dernière place. Mais au bénéfice d'une ligne droite de folie, c'est bien la Française qui termine en tête. Et Gautier Simounet qui lève en premier le bras au ciel. Pour la dernière

course de sa carrière, Assia El Hannouni obtient pour la troisième fois consécutive la médaille d'or paralympique sur le demi-tour de piste. Une récompense qu'obtient aussi son guide, chose qui n'avait pas été le cas avant ces Jeux de Londres.

 

Une telle performance concrétise un travail de tous les instants. Guider un athlète handisport demande de la motivation, de la précision, de l’entraînement. Mais aussi, et surtout, une confiance mutuelle entre les deux sportifs. Parfois, il arrive même que de belles amitiés se créent à travers ce lien. Si chaque guide, quelle que soit sa discipline, se doit de remplir plusieurs critères, tous ont des histoires bien à eux. Des histoires qui les ont menés vers un destin qu’ils n’auraient jamais envisagé.

Début

« quand on est petit, on rêve plus d'être carl lewis que guide »

L'un a mis à profit ses facilités sportives pour accompagner un handisportif à la recherche des sommets ; l'autre, sentant qu'il avait fait le tour de son sport, a saisi l'opportunité de lui donner un second souffle ; le dernier s'est reconverti suite à un début de carrière en individuel tronquée par des blessures à répétition. Trois guides, trois disciplines et trois niveaux de compétition différents.

Gautier Simounet

Guide en athlétisme, 32 ans

Champion paralympique du 200 m

Lucas Dupperex

Guide en ski de fond, 22 ans

Champion du monde en relais 4 x 2,5 km

Cédric Merley

Guide en triathlon, 37 ans.

Champion de France 2013

G.S.

le sprinteur freiné

A quinze ans, c’est finalement assez tardivement que Gautier Simounet se lance dans l’athlétisme. Pourtant, son ascension est instantanée. L’explication est simple : « Je courais très vite », sourit-il. Jusqu’à ses 24 ans, il participe aux championnats de France espoirs. Son niveau ? « Dans le top 20 ou top 30 français sur 200 mètres. » De quoi laisser la porte ouverte à un bel avenir de sprinter. Sauf que le destin en décide autrement et sa progression est stoppée. « A cette période-là, j’ai eu énormément de blessures. Des foulures, des déchirures. Elles n’étaient pas graves mais nombreuses. »

 

En parallèle, Gautier obtient une licence STAPS management du sport, « ce qui se rapprochait plus du lien entre social et sport. Mais après l’avoir obtenue je continuais de me chercher… » C’est alors que se présente l’opportunité de travailler pour la Fédération handisport sous les ordres du DTN Patrice Berges, alors entraîneur d’une certaine Assia El Hannouni. Gautier ne laisse pas passer l’occasion. Le jeune homme a alors pour missions de prendre en charge les jeunes athlètes et d’organiser des stages. Entre autres. En effet, en juillet 2007, alors qu’il accompagne l’équipe de France compétition internationale, on lui propose de « dépanner » en tant que guide. « Une expérience dingue ! J’ai eu de très bonnes sensations », se souvient-il.

 

Mais tout s’accélère peu avant les Jeux Olympiques de Pékin, en 2008. « A trois mois des JO, Patrice Berges m’annonce que je vais guider Assia El Hannouni. Je suis tombé des nues ! Pour moi c’était la star. » Pourtant, la mayonnaise prend. Et c’est un euphémisme de l'écrire puisque Gautier guide Assia jusqu’à la médaille d’or du 200 mètres. « Quelque chose d’exceptionnel. » En rentrant des Jeux, sa vie et carrière prennent un tournant définitif. « Je me suis dit : "Pourquoi pas devenir guide." Certes, ce n’est pas un métier mais je me suis dit que je ne lâcherai pas cette expérience. » Depuis, il le clame haut et fort : « Je me considère comme un athlète handisport. »

Originaire de Chamonix, Lucas Duperrex a débuté le ski de fond tout jeune. Inscrit en club à sept ans, il dit de lui qu'il n'a « jamais été très bon mais j'ai rapidement été assez bon ». Il enchaîne les compétitions de haut niveau en jeunes. « Dans mon année d’âge, j’étais alors dixième meilleur français. » Au lycée, il rejoint la filière d’accession à haut niveau du comité Mont-Blanc qui regroupe les trente meilleurs skieurs du département de la Haute-Savoie. A 18 ans, la voie semble tracée.

 

Sauf que Lucas arrête brutalement le ski à la fin de ses années lycéennes. « J’ai eu pas mal de soucis de santé dus à un surentraînement. A ce moment-là, il fallait aussi que je fasse le choix entre les études et continuer le sport à haut niveau. » Il part donc à Grenoble, en école d’ingénieur. « Ça ne m’a pas plus pris la tête que ça d’arrêter. Je suis quelqu’un qui n’est pas spécialement compétiteur et je n’ai pas besoin de rêver d’être champion pour aller à l’entraînement. »

 

En janvier 2013, sa rencontre avec Anthony Chalençon change la donne. « Un de mes amis le guidait mais il s’apprêtait à quitter la France. Je savais donc qu’il était sans guide et j’ai décidé de l’aider. » Après un début de carrière en ski alpin, durant laquelle il a notamment participé aux Jeux Paralympiques d’hiver à Vancouver, en 2010, Anthony débute alors sur le fond. « Je n’avais qu’une seule expérience en tant que guide mais je savais que j’avais beaucoup de choses à lui apprendre de par mes antécédents de fondeur. On a débuté sans pression même si on avait l’objectif d’intégrer l’équipe de France. » Chose qu’ils parviendront à faire après seulement un an d’entraînement à deux.

Sélection portraits
L.D.

Choisissez et cliquez

Gautier Simounet

la pédagogie dans la peau

C.M.

 I. NE FAIRE QU'UN 

A l’entraînement, rien ne peut être laissé au hasard. Si chaque discipline à sa

méthode bien à elle, elles ont toutes en commun le fait que la communication doit être optimale. Et notamment en ski où les deux athlètes ne sont liés que par la voix. « Lors de nos séances d’entraînement, Lucas (Duperrex, ndlr) ou le coach passent énormément de temps à me regarder », raconte Anthony Chalençon. « Parfois, ils me laissent même skier sur une piste dégagée et ne font que m’observer. Cela leur permet de me conseiller sur ma technique pure de fondeur. »

 

En course, l’intensité est toute autre. Le guide passe légèrement en tête et distille ses codes lorsque cela est nécessaire. « Lucas me dit quand il y a un virage à gauche ou à droite, s’il est léger ou serré, s’il y a une montée ou une descente… » Un travail supplémentaire doit aussi être fait amont concernant le repérage des lieux. « Lucas fait le parcours avec une caméra et on visionne ensuite le film sur l’ordinateur, plusieurs fois. Ce qui fait que je connais la piste par cœur. Mais cela n’empêche pas que l’on débriefe énormément avant de s’élancer. »

 

A vélo et en course à pieds, le guidage est aidé par un lien physique (tandem ou petite corde) et par le toucher. « Chaque binôme a ses codes. Pour nous, un appui long sur l’épaule signale un virage. On a aussi mis en place des codes avec les pédales lorsque nous roulons en tandem », explique Fabien Blanchet. Les contacts sont plus faciles mais la parole n’est pas abandonnée pour autant. « Quand il y a un obstacle ou juste avant de descendre du vélo, Cédric me lance un "top" par exemple. Là encore, la communication diffère selon les duos. Certains vont préférer être avertis quelques secondes avant, d’autres sur le moment », poursuit-il.

 

Guide, ça ne s'improvise pas. « Un bon guide en sait plus techniquement. Pour pouvoir apporter à l’athlète, il doit avoir un niveau supérieur », indique Lucas Duperrex. Gautier Simonnet va dans le même sens : « Il ne suffit pas d’être juste bon. » C’est d’ailleurs en partie pour cette raison que Lucas va laisser sa place en compétition dès la saison prochaine. « Je commençais à fatiguer et il en fallait plus pour qu’Anthony continue de progresser. Je ne serai plus qu’un guide de complément qui l’accompagnera lors des compétitions moins importantes et à l’entraînement entre les stages. » Deux guides pour un athlète : la méthode a aussi été mise en place par Trésor Makunda. « Lorsque l’un de nous deux guide Trésor, l’autre s’entraîne de son côté et vice-versa », précise Gautier.

la flamme ravivée

* Fabien : Fabien Blanchet, ancien judoka handisport reconverti au paratriathlon en 2011 suite à un décollement de la rétine. L'incident est survenu en 2008 alors qu'il était sur le point de participer aux Jeux Paralympiques de Pékin.

Vidéo : Le guidage en paratriathlon

 II. croire en l'autre 

«Le maître-mot de la relation entre athlète et guide est la confiance. » Gautier Simounet résume parfaitement ce qu’est la condition indispensable pour qu’un binôme puisse progresser et s’entraîner de la meilleure des manières. Inversement, s’ils ne bénéficient d’aucune assurance envers l’un l’autre, la course peut vite tourner au désastre. C’est la mauvaise expérience qu’a vécu Anthony Chalençon en ski de piste lors des Jeux Paralympiques de Vancouver, en 2010. « Le guide avec qui je bossais s’est blessé peu de temps avec le début des Jeux. J’y suis donc allé avec une nana qui m’avait guidé durant seulement trois semaines. Du coup on manquait cruellement de confiance pendant la course. Elle avait aussi peur que moi que je me prenne une porte, elle balançait les infos au hasard… »

 

Faute d’arriver à trouver « un bon guide », Anthony choisit alors de faire un break dans sa carrière et se reconvertit en fondeur quelques années plus tard. Assia El Hannouni, elle aussi, a failli ne plus refaire confiance à un guide. « Lors des Mondiaux de 2006, Assia est tombée », raconte Gautier. « A son retour elle disait : "Plus jamais de guide". Plus tard, quand son entraîneur m’a dit que j’allais la guider, j’avais forcément un peu d’appréhension. Je ne voulais qu’elle soit forcée de recommencer. Finalement, plus on s’entraînait et plus je me disais que j’étais un bon guide et la confiance s’est installée. » Avec la réussite que l’on connaît.

 

Lorsque le duo fonctionne, on observe même une certaine dépendance de la part de l’athlète. « En 2010, j’ai subi une rupture du tendon d’Achille. J’ai dû arrêter cinq mois et, pendant ce temps-là, je manquais énormément à Assia. Le fait que je ne sois pas présent la bloquait pour certaines séances. » Lucas Duperrex confirme que l’appréhension est plus importante quand il y a changement de partenaire : « Nous nous sommes entraînés juste à deux pendant un an. Ensuite, lorsque nous avons été intégrés à l’équipe de France, Anthony avait un peu de mal parfois. A certains moments, il a plus confiance en moi qu’aux coaches. »

 III. s'attacher 

En plus de la confiance, un autre lien reste tout aussi important : l’affinité. S’il est

différent d’un binôme à un autre, le fait « de ne pas bien s’entendre est forcément un frein à la progression », estime Lucas Duperrex. D’autant que certains athlètes, comme Assia El Hannouni, ont parfois besoin d’être rassurés quand le stress monte. « En chambre d’appel, je la faisais rire pour la détendre », se rappelle Gautier Simounet. « C’était un jeu entre nous qui lui faisait oublier l’importance du moment. Inversement, je savais quand elle voulait être concentrée. » Pour ne pas être déstabilisé, Anthony Chalençon se souvient même que Lucas « m’a avoué après la victoire lors du relais des Mondiaux qu’il avait très mal dormi la nuit précédente. » Guides, mais aussi coaches mentaux à temps partiel, donc.

 

Il arrive aussi que la relation guide-athlète se transforme progressivement en une relation d’amitié, à l’instar d’Anthony qui a « toujours considéré mes guides comme des amis ». Cela peut prendre un certain temps, comme pour Lucas : « Au début, il y avait beaucoup de prudence. J’avais plus l’impression d’être un professeur. Mais finalement, le rôle d’entraîneur s’efface petit à petit pour devenir celui d’équipier puis d’ami. Etre potes, ça aide. » « Le côté humain joue tellement », ajoute Gautier. « Même si Assia avait son petit caractère », glisse-t-il.

 

Pour Cédric Merley et Fabien Blanchet c'est une relation très forte qui s'est nouée entre eux (voir par ailleurs). Une amitié qui va au-delà du cadre sportif. « Lorsque je demande à mon fils qui est son "pote", il me répond tout de suite Cédric », sourit Fabien. « Au départ, lorsque je cherchais un guide, je savais qu’on allait passer beaucoup de temps ensemble. Du coup je préfère perdre une minute sur une course et qu’on s’entende bien plutôt qu’en gagner deux et de courir avec un con. Ce n’est pas très difficile de trouver un guide, mais en trouver un qui est disponible, qui est prêt à faire de grandes courses et avec qui tu es complice, c’est plus dur. »

Vidéo : Interview croisée de Fabien Blanchet et de son guide, Cédric Merley

 IV. aboutir 

La nouveauté des Jeux Paralympiques de Londres est un peu passée inaperçue

mais elle n’est pas sans importance. Avant 2012, les pilotes des tandems, en paracyclisme, étaient les seuls guides récompensés par une médaille. Désormais, l’acte est généralisé pour tous les guides. Une mesure qui fait l’unanimité, à commencer par les athlètes. « Ça me parait tout simplement évident que les guides aussi aient droit à une médaille », insiste Fabien Blanchet. « Leur niveau de performance est au moins supérieur à celui des athlètes, et puis il y a tout l’aspect d’avant-course, les entraînements… Ils s’investissement autant que nous. On est un binôme. »

 

Du côté des guides, le son de cloche est identique. « Le guide n’est pas seulement une aide, il fait partie d’une équipe », ajoute Gautier Simounet.  « On gagne et on perd ensemble. » « Ce n’est pas la performance de mon corps mais la qualité de mon guidage fait partie de la performance », surenchérit Lucas Duperrex. « Le travail effectué mérite d’être récompensé. » En écho avec ce qui a été dit par les athlètes, la décision prise en 2012 de médailler tous les guides a été motivée par le fait que « la performance d’un athlète déficient visuel guidé ne peut être réalisée sans assistance. L’athlète et le guide ne font qu’un », indique Julien Héricourt, directeur sportif athlétisme à la Fédération Française de Handisport (FFH).

 

Si la médaille et la reconnaissance sont « obligatoires » dans l’esprit des guides, la récompense de leur action n’est pas seulement matérielle. Lucas Duperrex, qui sera moins présent auprès d’Anthony Chalençon dans les prochains mois, confesse que cette expérience « m’a donné envie de transmettre aux jeunes. Je n’ai pas besoin de compétition pour continuer de m’entraîner, mais guider en complément m’intéressera toujours ». Gautier Simounet, lui, continue à s’investir très sérieusement en tant que guide malgré une avalanche de titres (voir par ailleurs). S’il le fait, c’est pour « rendre au handisport ce qu’il m’a donné. Il m’a permis de vivres des moments extra, de voyager, de faire des rencontres… J’ai atteint un niveau que jamais je n’aurais atteint seul. Pour devenir champion olympique, j’aurais dû battre Usain Bolt ! », sourit-il.

En à peine six ans, Gautier Simounet s'est forgé un palmarès exceptionnel. Avec huit distinctions internationales, il est le guide le plus titré du monde.

Réalisation et écriture : Kévin Murgue

 

 

Crédits photos (dans l'ordre d'apparition) : Kévin Murgue, Vincent Delorme, Benjamin Loyseau, Eric Michel, Marie-Claude Merley, Didier Echelard.

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